« La dépendance du Canada à l’égard des États-Unis pour ses importations est pire que vous ne le pensez. » C’est le constat posé par les professeurs Julien Martin et Florian Mayneris, du Département des sciences économiques de l’ESG UQAM, ainsi que le titre de l’avis qu’ils ont publié plus tôt cet été dans Perspectives/Insights, la publication du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).
Les deux chercheurs ont revisité la question de cette dépendance commerciale en incluant dans l’équation des données qui n’avaient jamais été utilisées, ce qui leur a permis de jeter un nouvel éclairage sur le phénomène. « Lorsqu’il est question des importations, on réfère habituellement aux biens produits aux États-Unis, puis vendus au Canada, ceux-ci constituant entre 50 % et 60 % des importations canadiennes. Or, nous démontrons qu’il existe deux autres dimensions dont il faut tenir compte », souligne Julien Martin, titulaire de la Chaire de recherche UQAM sur l’impact local des multinationales.
En examinant les statistiques commerciales officielles, Julien Martin et Florian Mayneris notent que les États-Unis servent aussi de plateforme pour des biens importés de l’étranger et réexportés ensuite au Canada. Ils soulignent également que les États-Unis jouent un rôle de pays de transit pour des biens étrangers sans qu’aucun intermédiaire américain ne soit impliqué. « On sait que ces biens arrivent par camion et comme notre seule frontière terrestre est avec les États-Unis, cela implique qu’ils y transitent forcément », explique Julien Martin.
C’est le cas, par exemple, d’une proportion importante des biens provenant du Mexique, chargés dans des camions qui traversent les États-Unis jusqu’au Canada, ou d’une partie des biens en provenance de la Corée du Sud, du Japon et de la Grande-Bretagne, qui arrivent par bateaux dans des ports américains avant d’être transférés dans des camions remontant vers le nord.
« Lorsqu’on prend en compte les biens étrangers importés aux États-Unis puis réexportés au Canada, ainsi que les biens qui ne sont pas déclarés aux douanes comme provenant des États-Unis mais qui de facto y transitent, on s’aperçoit que 80 % des importations canadiennes sont reliées aux États-Unis d’une façon ou d’une autre », note le professeur. D’où leur constat: la dépendance canadienne à l’égard des États-Unis est généralement sous-estimée.
Les deux chercheurs se sont intéressés à cette question dans la foulée de la renégociation de l’ALÉNA et en regard de la politique commerciale de l’administration Trump, encore une source de conflit ces jours-ci avec les tarifs sur l’aluminium. « Au départ, nous voulions analyser à quel point les décisions parfois erratiques du président américain peuvent influencer le commerce canadien, raconte Julien Martin. Notre intérêt s’est renforcé avec la COVID-19, notamment lorsque l’administration Trump a voulu empêcher l’entreprise 3M d’exporter ses masques au Canada. »
Les secteurs touchés
Certains secteurs sont plus dépendants que d’autres du commerce avec nos voisins du sud, précisent les chercheurs. Par exemple, plus de 80 % de nos importations dans le domaine du papier, de l’imprimerie et de l’automobile proviennent des États-Unis ou y transitent. Et même si des secteurs comme l’industrie pharmaceutique, le textile et le vêtement sont moins dépendants, la proportion des importations y dépasse 50 %.
Diversifier notre commerce international
La situation du Canada est unique parmi les pays de l’OCDE, affirme Julien Martin. « On retrouve ce type de dépendance commerciale dans les petites îles ou dans les pays satellites de la Chine ou de la Russie. Le seul pays comparable est le Mexique, également très dépendant des États-Unis, mais le PIB par habitant y est beaucoup plus bas qu’au Canada. »
Comment le Canada en est-il arrivé là ? « Dans le domaine du commerce international, l’équation de gravité est un modèle qui permet de prédire le volume d’échanges bilatéraux par le poids économique de deux pays et par la distance qui les sépare, explique Julien Martin. Le Canada est situé à côté d’un géant économique, c’est donc normal que la majeure partie de son commerce s’effectue avec les États-Unis. »
D’autres facteurs que la géographie sont en cause, poursuit le chercheur. « On envisage depuis de nombreuses années le commerce international comme une façon d’obtenir la plus grande variété possible de biens aux prix les plus bas. Cela implique de choisir ses producteurs, mais aussi la chaîne logistique permettant de réduire le plus les coûts de transport. »
Acheter des États-Unis ou les « utilise r» comme plateforme d’importation ou pays de transit coûte moins cher que de s’approvisionner directement en Corée du Sud, par exemple. Cette spécialisation de la chaîne logistique a toutefois pour effet de fragiliser notre économie, estiment les chercheurs. « Nous recommandons de diversifier nos importations, et l’aspect novateur de nos travaux est de penser cette diversification non seulement en termes de pays producteurs, mais aussi de chaînes de transport. Pour être résilient à long terme sur le plan commercial, il faudrait donc s’approvisionner directement de certains pays par avion ou par bateau, même si cela coûtait plus cher. »
Julien Martin et Florian Mayneris reprendront ces recommandations dans un mémoire qu’ils déposeront prochainement à l’invitation du ministre des Finances du Québec dans le but de préparer une relance économique durable pour l’après-COVID-19.