Montréal vient d’être élue meilleure ville sportive au Canada. Quelques semaines plus tard les Canadiens se font bouter dehors des séries. Un paradoxe qui tombe bien mal au sein d’une ville qui doit une partie de son attractivité grâce à son porte-étendard sur la glace. Une attractivité fragile qui passe forcément par des résultats probants. Décryptage de l’impact des équipes sportives et des événements sportifs sur leur territoire avec André Richelieu, professeur au Département de marketing.
Fin mars Montréal est couronnée première ville au Canada pour l’accueil d’événements sportifs par l’Alliance canadienne du tourisme sportif. Une excellente nouvelle en termes d’attractivité. Mais pour être attractif auprès d’un tourisme interne et externe, il faut compter sur de grands événements internationaux et/ou sur des équipes sportives avec un rayonnement international. Alors Montréal est-elle sur la bonne voie ?
Les résultats sacrifiés sur l’autel du ‘sportainment’
Si Montréal est connue à l’international c’est avant tout pour « Les Canadiens ». « Le hockey est plus qu’un sport, c’est une véritable religion » débute André Richelieu. « Quand on pense à Montréal, on pense aux Canadiens. J’ai récemment croisé la route d’un touriste thaïlandais en Allemagne et la première chose qu’il me dit : ‘Montreal Canadian’. Ce n’est certes qu’un sport, mais il constitue une partie importante de notre identité. » Le hockey, à l’instar du football au Brésil, rassemble. Peu importe les communautés, les origines et les classes sociales, les Montréalais soutiennent les Canadiens. « Le CH a un avantage culturel sur les autres sports grâce à son histoire à travers le Canada. » Mais on ne peut pas baser uniquement son futur sur son glorieux passé, « Il faut prendre soin de la marque car c’est une promesse, mais aussi une réputation. Elle peut se perdre facilement et se regagner très difficilement. Le défi pour le CH est de se recentrer sur le produit sportif. On sacrifie le présent sur un avenir qui ne se réalise pas. Cela fait 26 ans que les Canadiens ne gagnent plus, cela commence à faire beaucoup. »
Le ‘sportainment’ (fusion entre le sport et le divertissement) prend de plus en plus d’importance au sein des équipes sportives. Dans un monde où le divertissement prend le pas sur le fond, la stratégie n’est pas pour autant efficace à long-terme. « Le CH risque une cassure avec les millénariaux faute de résultats probants. Il est important d’investir dans le sportif et de tout faire pour gagner. Je ne peux pas imaginer le Real Madrid sans remporter de titre durant 30 ans. Investir dans le produit c’est la promesse de marque. Le ‘sportainment’ est important aussi car c’est dans l’air du temps et on veut vendre une expérience à valeur ajoutée. Il faut néanmoins l’accompagner par une équipe qui a une chance de gagner… »
Impact économique vs impact social
La question revient souvent : quel est le véritable impact économique d’une qualification aux séries du CH ? Pour l’expert en marketing sportif : « L’impact économique d’une équipe de sport est souvent surfait. Ceux qui profitent des retombées sont ceux qui gravitent autour comme les magasins de sport, les bars ou encore les restaurants. Il s’agit du capital social vertical. »
Ce qui est moins quantifiable est le rayonnement du territoire en termes de marketing ou ‘place branding’. « Il y a d’un côté le capital de marque financier comme les revenus qui profitent directement aux Canadiens et de l’autre le capital de marque du consommateur qui est l’image, la notoriété et la valeur perçue. Ce dernier pousse le partisan à passer à l’action : acheter des billets, écouter des rencontres dans les bars, etc. » L’un ne va donc pas sans l’autre, mais pour augmenter ses revenus le CH doit d’abord obtenir de bons résultats sportifs.
« Il y a un impact intangible d’une équipe de sport par sa résonnance émotionnelle dans une communauté. » L’impact du CH permet à Montréal d’avoir un rayonnement international et donc de valoriser sa marque par le sport.
D’autre part, il y a l’impact positif d’une équipe sportive ou d’un grand événement sportif qui s’inscrit dans un capital social horizontal où les bénéfices vont profiter directement à la population. « Par exemple, lors du Championnat d’Europe de football en 2012, la Pologne (pays hôte) a fait le choix d’investir dans ses infrastructures comme les routes ou les logements plutôt que dans la construction de stades. Le sport est utilisé dans ce cas-ci comme un levier pour investir dans le bien-être et la qualité de vie de la population. C’est pour cela que la question du retour des Expos de Montréal ne peut pas être dissociée de ses infrastructures. Il faut investir dans un projet immobilier qui devient un point de convergence communautaire pour le divertissement et pour la qualité de vie de la population durant toute l’année et non pas pour assister seulement à quelques rencontres de baseball ».
La menace de l’ouest
Pour garder son statut de première ville du sport au Canada il faut non seulement des équipes professionnelles mais surtout des équipes gagnantes. « Il faudra alors se méfier de Toronto qui pousse très fort avec des équipes de grande qualité » explique l’auteur du « Marketing du sport ».
André Richelieu de conclure avec la recette d’une stratégie gagnante : « La victoire n’est pas suffisante, mais elle est essentielle car on vend des émotions mais aussi de l’espoir. Gagner ou avoir la possibilité de le faire. Il faut une ville sportive qui se soucie du long terme pour le bien être de sa population. »