Par Alejandro Romero-Torres, professeur et titulaire de la Chaire gestion de projet, ESG UQAM
C’est inévitable! L’intelligence artificielle (IA) n’est plus une promesse, elle est présente et accessible pour toutes les organisations et pour tous les cadres de métiers. Ceci est bel et bien le cas des gestionnaires de projet qui sont de plus en plus confrontés à une panoplie de formations, certifications, articles et conférences qui accentuent l’urgence de transformer leurs pratiques avec l’IA. Mais, est-ce que ce progrès technologique peut-il devenir un cauchemar?
Qu’est-ce que c’est l’IA ?
L’IA désigne des systèmes informatiques capables d’exécuter des tâches complexes normalement réalisées par les humains, comme le raisonnement, la prise de décision, la créativité et l’autonomie. Bien que le terme « intelligence artificielle » ait été inventé en 1956, l’IA est devenue omniprésente aujourd’hui grâce à la croissance des volumes de données, aux avancées des algorithmes et aux améliorations de la puissance de calcul et des capacités de stockage.
L’IA comprend deux sous-catégories principales : le machine learning (apprentissage automatique) et le deep learning (apprentissage profond). Si l’on considère l’IA comme une poupée russe, la plus grande poupée représenterait le vaste domaine dédié à la création de machines capables d’imiter les capacités humaines. À l’intérieur de cette poupée se trouve le machine learning, une branche qui se concentre sur les techniques permettant aux machines d’apprendre à partir de données pour exécuter des tâches spécifiques. Enfin, la plus petite poupée correspondrait au deep learning, une approche qui tente de reproduire la manière dont les humains pensent et apprennent, à l’aide de réseaux de neurones complexes. ChatGPT est un outil technologique issu du deep learning permettant la création de texte, image ou autre format à partir des données.
La promesse pour la gestion de projet
L’IA offre un potentiel considérable pour transformer la gestion de projet. En effet, les gestionnaires de projet consacrent une grande partie de leur temps à collecter, analyser et partager des données afin de prendre des décisions éclairées pour leurs projets, programmes et portefeuilles. L’IA promet de révolutionner ces tâches en automatisant ces processus, ce qui ouvre la voie à des gains significatifs en termes d’efficacité et de précision. Grâce à ses capacités, l’IA peut accélérer la collecte, l’analyse et la diffusion des données. Cela peut générer des bénéfices concrets, tels que l’amélioration de l’identification des risques, une analyse plus fine des parties prenantes, ou encore l’optimisation des budgets et des échéanciers. De plus, en réduisant la charge cognitive des gestionnaires, l’IA leur permet d’explorer différents scénarios, de mieux anticiper les effets secondaires des décisions et, dans certains cas, d’éliminer les incertitudes.
Une courbe de désillusion
Les attentes entourant l’intelligence artificielle (IA) en gestion de projet sont-elles exagérées ? Pour de nombreuses organisations, l’enthousiasme initial peut rapidement se transformer en désillusion lorsqu’elles se sont confrontées aux limites technologiques et organisationnelles. L’une des principales contraintes de l’IA réside dans sa dépendance à la disponibilité et à la qualité des données. Or, dans la majorité des organisations, les données relatives aux projets sont souvent incomplètes, biaisées ou obsolètes. Cela peut conduire à des analyses déformées et à des décisions imprécises, voire contre-productives ou non éthiques. De plus, l’effort requis pour intégrer efficacement l’IA est largement sous-estimé. Souvent, les organisationnels concentrent leur transformation sur l’implantation technologique, en négligeant des aspects cruciaux tels que : la gouvernance des données et le développement des compétences humaines. Par ailleurs, l’introduction de l’IA implique des changements culturels profonds à tous les niveaux de l’organisation. Ces transformations nécessitent une gestion proactive de la résistance au changement.
La promesse de l’IA risque alors de rester hors de portée. Les gestionnaires de projet doivent donc prendre le temps de s’y préparer.
Comment se préparer ?
Transformer les pratiques de gestion de projet grâce à l’IA est un défi complexe qui nécessite une planification rigoureuse et une exécution réfléchie. Pour maximiser les chances de succès, la maîtrise en gestion de projet à l’ESG UQAM propose une approche en trois étapes :
- Prioriser les besoins de votre organisation avant de céder aux tendances technologiques : il est essentiel d’identifier les domaines où cette technologie pourrait apporter le plus de valeur, tout en tenant compte de la qualité et de la disponibilité des données existantes. Dans de nombreux cas, les efforts initiaux devront se concentrer pour rendre plus matures leurs pratiques en gestion de projet et de gouvernance de données avant d’envisager l’intégration d’outils d’IA.
- Investir dans le développement humain : la transformation par l’IA implique un changement dans la manière de travailler des gestionnaires de projet, de leurs équipes et de leurs parties prenantes externes. Ces derniers doivent être formés pour comprendre les opportunités et les limites de l’IA, afin de l’utiliser efficacement et éthiquement, ainsi que prendre des décisions éclairées.
- Instaurer une approche agile : la mise en œuvre de l’IA doit se faire progressivement, en priorisant les cas d’utilisation simples et concrets avant de déployer des solutions plus complexes. Cette approche permet de mesurer les résultats, de recueillir les retours des parties prenantes et d’ajuster les initiatives au fur et à mesure.
Bref, ce n’est pas en se précipitant vers la dernière technologie à la mode que le progrès se matérialisera, mais en adoptant une démarche réfléchie et alignée sur la capacité réelle des organisations.
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