UQAM Accueil Développement durable Le pouvoir coopératif

Le pouvoir coopératif

Par Claude Gauvreau En créant une coopérative de travailleurs actionnaires, quelques dizaines d’employés de l’usine de bois LVL, en Abitibi-Témiscamingue, ont […]

Par Claude Gauvreau

En créant une coopérative de travailleurs actionnaires, quelques dizaines d’employés de l’usine de bois LVL, en Abitibi-Témiscamingue, ont permis de relancer l’entreprise, qui était fermée depuis deux ans. Située à mi-chemin entre Granby et Sherbrooke, la coopérative de consommateurs CoopTel offre des services Internet et de téléphonie. Au cours des cinq dernières années, le nombre de ses abonnés est passé de 900 à 6 000. Publié depuis quatre ans par une coopérative de solidarité, le mensuel culturel Graffici, distribué à 7 000 exemplaires, est le seul média écrit francophone indépendant couvrant tout le territoire gaspésien.

Ces entreprises, véritables success stories régionales, comptent parmi les 3 500 coopératives et mutuelles du Québec. Celles-ci regroupent 8,8 millions de membres — on peut être membre de plus d’une coopérative à la fois —, emploient plus de 90 000 personnes et sont actives dans pratiquement tous les secteurs d’activité économique : finance et assurances, industries agroalimentaire et fores­tière, alimentation, habitation, pêcheries, milieu scolaire, santé, culture. «Les coopératives font partie du paysage socio-économique du Québec depuis plus de 100 ans. Pourtant, le mouvement coopératif demeure méconnu», souligne Marie Bouchard, professeure au Département d’organisation et ressources humaines et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie sociale.

Son collègue Michel Séguin (M.Sc. économique, 95), professeur au même département, est titulaire de la Chaire de coopération Guy-Bernier. Selon lui, ce n’est pas un hasard si l’ONU a proclamé 2012 «Année internatio­nale des coopératives» sous le thème Les coopératives, des entreprises pour un monde meilleur. «À la suite de la crise financière de 2008, qui a ébranlé l’économie de la planète, les Nations Unies ont voulu promouvoir le modèle coopératif et souligner son apport au développe­ment économique et social dans plusieurs pays, observe le chercheur. Dans une économie de marché, il est important de favoriser la diversité entrepreneuriale. Comment? En préservant des entreprises qui ne correspondent pas au modèle capitaliste standard.»

Une autre gouvernance

Entre les coopératives financières, les coopératives de producteurs, agricoles ou autres, celles regroupant des consommateurs ou des travailleurs, le mouvement coopératif offre un portrait diversifié. «Au-delà de leurs différences, les coopératives partagent, depuis la fin du XIX e siècle, des valeurs d’équité, de solidarité et de responsabilité sociale, rappelle Marie Bouchard. Leur but premier est de répondre aux besoins de leurs membres, alors que celui de la plupart des entreprises traditionnelles consiste à maximiser les profits pour les actionnaires.»

Les coopératives ont aussi un mode de gouvernance particulier. La prise de décision est basée sur le principe une personne, un vote, plutôt qu’une action, un vote, comme c’est le cas dans la plupart des entreprises à capital-actions, où les plus riches ont davantage de pouvoir. «Dans le Mouvement Desjardins, le pouvoir décisionnel repose sur la force des assemblées générales des membres, aux niveaux local, régional et national. Cela fait partie de l’ADN de Desjardins et des coopératives en général, souligne Normand Desautels (C. sciences comptables, 79), premier vice-président et directeur général, Services aux particuliers et Capital humain, chez Desjardins. Le processus est peut-être lent, dit-il, mais la consultation démocratique permet aux gens de mieux comprendre le sens et la portée des décisions qui, une fois prises, sont appliquées rapidement et efficacement.»

Les entreprises coopératives se distinguent enfin par la façon de répartir les bénéfices, note Michel Séguin. «À la fin de chaque année, les surplus sont affectés, en tout ou en partie, au développement de l’entreprise afin d’améliorer l’offre de services ou de produits, au verse­ment de ristournes aux membres et au soutien de projets dans la communauté.»

Une force économique

Les coopératives occupent une place de choix dans le développement économique du Québec. Certaines sont même devenues des entreprises de grande envergure. La Coop fédérée, par exemple, est la plus importante entre­prise agroalimentaire au Québec et la plus importante coopérative agricole au Canada. Le Mouvement Desjar­dins constitue, quant à lui, le premier groupe financier au Québec et le premier groupe financier coopératif au Canada. Comptant plus de 190 milliards de dollars en actifs et 5,8 millions de membres et clients, il regroupe des coopératives de services financiers et une vingtaine de filiales dans les domaines de l’assurance, des fonds de sécurité, du capital de risque et de la gestion des actifs.

«Synonyme de prise en charge par le milieu, le mouvement coopératif, grâce à Desjardins notamment, a donné confiance aux Québécois sur le plan économique, soutient Michel Séguin. Quand Alphonse Desjardins a créé la première caisse populaire en 1900, l’objectif était de les responsabiliser et, surtout, de les rendre indépen­dants sur le plan financier. Desjardins disait toujours : le jour où les Canadiens français contrôleront le capital, ils maîtriseront leur destinée

Aux côtés de ce fleuron, les quelque 2 840 coopé­ratives québécoises démontrent aussi beaucoup de vigueur. De 1999 à 2009, le nombre d’emplois net y a connu une croissance de 37 %, passant de 32 000 à plus de 44 000, comparativement à 15 % pour l’ensemble de l’économie québécoise, selon les données du ministère des Finances et de l’Économie du Québec. Avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 11 milliards de dollars et environ 1,2 million de membres, les coopératives non financières ont vu leur actif progresser de 30,6 % de 2004 à 2008, atteignant 5,4 milliards de dollars.

Une étude réalisée par l’Organisation internationale du travail indique que les coopératives auraient surmonté la grave crise financière de 2008 mieux que plusieurs entreprises privées traditionnelles. Cette robustesse se traduit également par une plus grande pérennité. En 2008, le taux de survie moyen des coopératives était de 62 % après cinq ans et de 44 % après dix ans, contre 35 % et 20 % pour les entreprises privées, révèle une autre étude gouvernementale.

«Les coopératives résistent mieux aux crises écono­miques parce qu’elles n’ont pas de comptes à rendre à des actionnaires ou à des investisseurs qui en veulent toujours plus pour leur argent, note Marie Bouchard. Leurs valeurs d’équité et de solidarité favorisent l’enga­gement et le sentiment d’appartenance des membres et du personnel. De plus, leur ancrage dans la communauté contribue à leur stabilité.» Michel Séguin remarque pour sa part que «les crises économiques ont toujours favo­risé le démarrage de coopératives, lesquelles cherchent à satisfaire des besoins de la population non comblés par les autres entreprises.»

Le modèle coopératif offre par ailleurs une piste de solution au problème de la survie économique dans certaines régions. Isabel Faubert-Mailloux (B.A. science politique, 96; M.B.A. spécialisé en entreprises collectives, 03), conseillère stratégique au développement au Réseau de la coopération du travail du Québec, cite l’exemple de la coopérative de travail Promo Plastik, contrôlée et gérée par ses employés. «Spécialisée dans la fabrication de produits publicitaires et promotionnels, cette coopé­rative a vu le jour en 1992 lorsque les propriétaires de la compagnie Plastique Gagnon de Saint-Jean-Port-Joli ont voulu se départir de leur division Promo Plastik. Ils ont finalement accepté de la vendre aux travailleurs, qui l’ont convertie en une coopérative florissante. Quand on est seul et que ça va mal, on est tenté de mettre la clé dans la porte. Mais quand on est nombreux, il est plus facile de se relever les manches», observe la conseillère.

Répondre à des besoins

Les coopératives répondent à des besoins sociaux. Les lacunes du système de santé et le vieillissement de la population ont ainsi conduit à la création de coopéra­tives œuvrant dans les domaines des soins à domicile, de l’hébergement des personnes âgées et même des services ambulanciers. «En dehors de Montréal, 75 % du transport ambulancier au Québec est fourni par des coopératives de travail», note Isabelle Faubert-Mailloux.

Longtemps associé aux secteurs financier et de la production agricole et forestière, le mouvement coopé­ratif perce désormais dans de nouveaux domaines : culture, nouvelles technologies, écotourisme et environ­nement. Selon Marie Bouchard, plusieurs coopératives surgissent parce qu’elles sont portées par un mouvement social. «Dans les années 1970 et 1980, dit-elle, on a vu émerger, surtout à Montréal, de nouvelles coopératives dans les services de garde, l’habitation et l’alimentation. Animées parfois par des ambitions autogestionnaires, elles visaient à offrir à la population une meilleure qualité de vie en proposant des services et des produits de qualité à un prix équitable.»

À la fin des années 1990, l’apparition des coopéra­tives de solidarité, dont le nombre a plus que doublé depuis cinq ans, a suscité un nouvel engouement, entre autres dans les domaines de la culture, du tourisme et des services à domicile. Ces coopératives sont formées de travailleurs et d’utilisateurs ayant des aspirations et des besoins communs, auxquels peuvent se joindre, à titre de membres de soutien, toute autre personne ou tout groupe intéressé. «Présentes à peu près partout au Québec, elles aident à conserver des services de proxi­mité — bureau de poste, comptoir de produits locaux, poste d’essence, dépanneur —, contribuant ainsi à créer un sentiment d’appartenance au sein des commu­nautés», précise Marie Bouchard.

De nouveaux défis

Selon une enquête portant sur les représentations des coopératives chez les consommateurs de cinq grandes villes — Québec, Paris, Tokyo, Buenos Aires et Manchester, en Angleterre —, dont les résultats ont été dévoilés lors du Sommet international des coopératives tenu à Québec en octobre dernier, les coopératives sont perçues comme des organisations de taille modeste, un peu folkloriques, dont les activités sont plus ou moins marginales. «Pour être reconnues comme un modèle complémentaire à celui des entreprises à capital-actions, il faudrait que les coopératives se fassent mieux connaître en démon­trant qu’elles sont des entreprises modernes, compéti­tives et performantes», constate le professeur Bernard Motulsky, du Département de communication sociale et publique, titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing, qui a réalisé l’enquête avec la firme IPSOS.

La formation d’une relève constitue un autre enjeu important pour les coopératives. C’est pourquoi l’UQAM offre depuis le début des années 2000 un programme de M.B.A. pour cadres en exercice spécialisé en entreprises sociales et collectives et, depuis septembre dernier, un programme court de deuxième cycle en gestion des entre­prises sociales et collectives. «Dans mes cours, je vois beaucoup de jeunes entrepreneurs en quête d’une autre logique économique qui manifestent un intérêt pour la formule coopérative», affirme Marie Bouchard. La profes­seure est convaincue que l’esprit coopératif fait partie de l’imaginaire collectif des Québécois. «Si les coopératives devaient disparaître demain matin, dit-elle, on trouverait le moyen de les inventer!»

Séparateur

Source : Magazine Inter-, Automne 2012– Volume 10– Numéro 02

,

Partager