C’est l’heure du souper en famille. Même si chacun fait un effort pour être présent, on finit inévitablement par entendre l’alerte annonçant l’entrée d’un texto, d’un courriel ou d’un appel. Qui flanchera le premier: vous ou votre conjoint(e)? «Les comportements que nous adoptons lorsqu’il est question de nos appareils mobiles influencent grandement la satisfaction à l’égard de la relation de couple», observe Ariane Ollier-Malaterre. La professeure du Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM a signé un article à ce sujet dans Frontiers in Psychology.
Ariane Ollier-Malaterre travaille depuis une dizaine d’années sur la notion d’équilibre de vie. «La gestion des frontières entre le travail et la vie familiale est cruciale à cet égard, et se trouve de plus en plus bousculée par les appareils mobiles», souligne-t-elle.
En collaboration avec son collègue Marcello Russo, de l’Université de Bologne, en Italie, la chercheuse s’est intéressée à 104 couples dont les deux individus travaillent et utilisent un téléphone intelligent. «Puisque l’étude a été réalisée en Italie, un pays plutôt traditionnel sur le plan des rôles familiaux, nous nous attendions à ce que l’homme soit très investi au travail et que la femme, même si elle travaille aussi, prenne davantage soin de la famille et s’occupe des tâches domestiques», précise-t-elle. Les réponses obtenues allaient effectivement en ce sens, 79 % des participants ayant désigné la femme comme étant principalement responsable des soins familiaux (à un enfant, à un parent âgé ou à un autre membre de la famille).
Différences entre les genres
Pour les besoins de l’étude, les chercheurs ont concentré leur analyse sur deux cas de figure: lorsqu’une demande familiale nécessite d’interrompre le travail durant la journée ou, à l’inverse, lorsqu’une activité familiale est interrompue par des impératifs professionnels. «On peut penser à de nombreuses déclinaisons, mais cela peut être aussi simple que de prendre un appel de son conjoint lorsqu’on est au travail ou de vérifier ses courriels professionnels pendant un repas en famille», illustre Ariane Ollier-Malaterre.
De manière générale, les résultats indiquent que la satisfaction à l’égard de la relation diminue si le partenaire interrompt les activités familiales à cause du travail. «Pas de surprise ici, car ce comportement est perçu par le partenaire comme un désintérêt à l’égard de la relation. Inversement, la satisfaction augmente quand le partenaire interrompt son travail pour la famille.»
Les chercheurs ont également noté que les femmes tirent une plus grande satisfaction (quant à leur relation de couple) de voir leur conjoint interrompre son travail pour répondre à une demande familiale. «Les attentes n’étant pas les mêmes selon le genre, les femmes remarquent davantage lorsque les hommes prennent du temps pour le couple ou la famille, explique Ariane Ollier-Malaterre. C’est aussi ce qu’on observe encore dans les parcs en Europe: les papas seuls avec leurs enfants font sensation, alors qu’au Québec, c’est tout à fait normal.»
Une femme italienne qui interrompt son travail pour la famille n’est pas perçue de la même façon, poursuit la chercheuse. «C’est ce qu’on attend d’elle, alors ce n’est pas considéré comme un acte de générosité.» En revanche une femme qui interrompt les activités à la maison pour régler quelque chose concernant son travail fera davantage sourciller. «Si les deux partenaires ont convenu qu’ils partageaient les responsabilités familiales, cela n’affectera pas la satisfaction de l’homme à l’égard du couple, mais autrement c’est un comportement hors norme qui contrevient aux attentes.»
Et au Québec ?
Plusieurs personnes sont conscientes de leur gestion des frontières entre le travail et la famille lorsqu’il est question d’appareils mobiles, mais pas nécessairement de son impact sur leur conjoint(e).«On en revient toujours à la communication: il faut clarifier et expliquer nos attentes, autrement cela peut devenir un sujet de discorde», observe Ariane Ollier-Malaterre.
Si la même étude avait été réalisée au Québec, les différences de genre auraient été moins marquées, mais quand même présentes, estime la chercheuse. Ce sont encore les mamans qui se font appeler en premier par l’école ou le service de garde lorsqu’un enfant est malade, et il y a toujours plus de mamans qui attendent leurs enfants à la sortie des écoles, illustre-t-elle. «Même ici, il y a encore du chemin à parcourir en matière d’égalité de genre par rapport aux responsabilités familiales. Cela dit, le Québec a une longueur d’avance. En France, la sortie des classes a longtemps été désignée comme étant « l’heure des mamans ». Heureusement, on dit désormais « l’heure des parents »!»